Travail
I
Là,
pendant les temps de repos,
ils se tenaient assis, sur ce grand bloc
de granit rose,
échanger en riant avec un peu d'emphase,
arrachés à la terre et virils, des propos
dont retentissaient une cour,
puis les champs et les collines et leur maison.
Aux genoux leurs pantalons noirs ou bleus,
tendus, s'éclaircissait.
Bleu blanc.
La pierre froide.II
Un jour se retournant
ils trouverait loin ce temps
qu'il ne sert à rien de rappeler.
Laisseraient la brume, c'est septembre,
un geste, leurs épaules
dissiper, mais pourquoi éterniser
ou pourquoi pas
cette distraction, ces voix,
leur accord rauque et généreux
de plaisanteries, de parole sans lendemain.
Déjà se faisait jour
le désir d'inverser le regard,
de voir cela fini.
Condamné ou fini,
âprement contesté,
pas du tout aimé,
ni fait pour nous.III
D'indifférence,
le mur blanc de l'usine
vu du dehors et vu de loin
a l'allure d'une caisse tombée, accrochée, fixée là
pour contenir des machines,
des heures, des bruits, des énergies,
pour en disposer.
Les ouvriers y sont dissimulés
par une production
qu'on ne voit pas au contraire
par exemple des blés, des poules, des arbres.
Des chaînes de tissu se déroulent,
se comptent,
les journées, on en oublie la longueur et le nombre
dans un geste mécanique et régulier
constamment enfermé, éclairé.IV
Les outils en désordre
qui blessent et brillent sur l'établi
se laissent le soir
comme autre chose déposer.
Dans un dernier tour silencieux,
presque nocturne et dessiné,
voilà tout à l'heure, voilà demain, voilà
maintenant un secret continu :
les mots d'enfance et de travail
sont dans le vide.
Énergiquement
la dernière lueur s'arrête
sous la verrière,
revient au large voisinage abasourdi.V
Vient du temps,
du solitaire écart,
une féroce amplitude,
enregistre du silence et des pas.
Entends- les.
Plus personne au travail.
Non. Je n'entends rien.
À la porte pour la nuit,
ce terme haineux aille
lui aussi se fatiguer,
qu'il s'épuise
qu'on ne le dise plus,
qui lui manquent la fierté et la
reconnaissanceVI
Là-bas, lisait-on,
le travail fait libre.
Le terme est resté là, inexplicable, figé.
Fait encore vivre, même mort.
Oui, c'est au mot qu’ils s'attaquent,
catastrophe déclenchée.
Soudain dégrisement,
dans la nuit sur le ciment,
au mortel revient le son
de ses pas comme dans un bois,
sa marche, son sens,
pas encore ébruités entre nous.
Travailler fatigue
Est resté là. Sans honte.
Mon travail. Soi-disant.VII
Un tourbillon d'histoires dans la tête
hésitant à raisonner.
Ou
Un acte de congé.
Roger DEXTRE, Des écarts de langage, la rumeur libre, 2016
Commentaires